Les bras croisés sur le lit de l’hôtel, Setsuna ne pouvait pas s’empêcher de penser aux risques encourus pour une simple babiole, un souvenir vague et désespéré de son esprit. Il ne lui restait pas grand-chose de sa mère, c’est probablement pour cela qu’il avait mis en péril les objectifs de toute une vie. Attrapant d’une main agile le médaillon, il le leva du maximum que le permettait la taille de la chaine le retenant autour de son coup. La gravure représentait une aile, une simple et unique aile. Malgré les informations datant de plus d’un millénaire dans son esprit, il n’avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait bien signifier. Il savait juste que cette représentation avait été d’une importance capitale pour sa génitrice, aussi n’était-il pas prêt à la laisser se perdre dans les ruelles sombres et malfamées d’Arda.

Laissant retomber la chaîne sur son torse, il se redressa pour regarder par la fenêtre, le jour était déjà bien avancé, il avait dormi trop longtemps et il était temps de rentrer au vaisseau, ce vaisseau qui allait lui permettre d’assouvir sa vengeance sur un père détesté et un monde dépourvu d’espoir. Payant la nuit qu’il venait de passer au gérant du motel plus qu’un hôtel, Setsuna disparut aussi vite qu’il lui fut possible. Bien qu’il sache que ce type ne pose pas de question à condition qu’on le paye suffisamment, il n’avait guère envie qu’un client moins enclin à la discussion n’appelle le Phantom. Flânant dans les rues afin de ne pas paraître trop suspect, il s’engagea finalement dans une ruelle de laquelle il avait lui-même disposé un téléporteur.

Le saut effectué, Setsuna atterrit dans la salle de retour, un de ces camarades l’attendant, plusieurs dossiers dans les bras. D’un geste de main, il lui fit comprendre que les problèmes allaient attendre le lendemain, il allait finir cette journée comme il l’avait commencé : en ne rien faisant. Entrant dans son bureau, Setsuna ne remarqua pas tout de suite la jeune femme dont il ne voyait pas le visage, tant elle lui tournait le dos. Irrité de ne pas avoir été averti, bien qu’il ait lui-même repoussé le porteur de dossier. D’une voix qui n’inspirait aucune sympathie, il ouvrit la discussion avec la ferme attention de repousser l’inconnue qui se tenait au milieu de son bureau.

« Je suis surpris que vous ayez pu vous rendre jusqu’ici, mais malgré cela, j’ai peine à croire que vous ayez eu le moindre espoir de parvenir à vos fins, quels qu’ils soient. »

Alors que Setsuna pensait sa journée terminée, qu’il allait pouvoir évacuer la pression en disputant une partie d’échec avec Karen en élaborant leur prochaine opération, voilà qu’un cheveu tombait sur la soupe, un long cheveu blond. S’il ne l’avait pas tout de reconnu, il n’avait désormais plus aucun doute sur l’identité de la jeune femme, bien que son nom et prénom ne lui échappe encore. Elle est journaliste et à en croire les rumeurs qui circulent, une plutôt performante. C’est bien de la veine ça. Avançant tranquillement dans la pièce en parlant, la reporter se leva pour aller s’asseoir sur le bureau du jeune homme. Le sang de Setsuna se mis à bouillir dans ses veines. Comment avait-elle pu arriver là sans que personne ne l’intercepte ? A quoi cela sert-il d’avoir une équipe qui ressemble à une armée privée si la moindre personne souhaitant monter à bord y parvient sans résistance ? Et si ce n’était pas une journaliste, mais un tueur du Phantom qui était monté ?

La notion de sympathique fit sourire Setsuna. Bien qu’il l’eu lui-même trouvé sympathique, la plupart des gens le trouvait rustique, vieux, délabré. S’arrêtant au milieu de la pièce, le rebelle était déconcerté par l’aisance que faisait preuve la demoiselle face à lui. La plupart des gens qui se retrouvait dans cette pièce n’y était pas pour des raisons chaleureuses et l’atmosphère y avait acquis une certaine lourdeur. N’étant pas membre de l’équipage, il est cependant normal qu’elle ne ressente pas cette pression. Ni une ni deux, la journaliste ne perdit pas plus de temps, l’interrogatoire démarra.

- Je dois bien vous avouez que de savoir des journalistes sur mon vaisseau a le don de me rendre nerveux. Si vous le voulez bien, je vais aller m’asseoir, je vous prierais de faire de même. Répondit-il en pointant la chaise du côté invité du bureau tandis qu’il prenait lui-même place dans son fauteuil. Ceci étant, je suppose que vous avez une raison précise pour être ici, j’aimerais l’entendre, suite à quoi, je vous ferais escorter vers la sortie.

Le sourire qu’affichait Setsuna était faux, il n’avait aucune envie de l’entendre, juste l’envie qu’elle disparaisse de devant lui, avec ses manières et ses questions, mais dans la nature des choses, les journalistes sont coriaces, résistants par nature aux termes comme « partir », « non merci ». Le meilleur moyen restant de jouer le jeu, de laisser… Jordane ! Jordane Sawyer ! C’était ça ! Ça lui revenait ! Le reste allait revenir aussi, patience. Il allait répondre aux questions de Jordane, il allait être le plus courtois possible, mentir comme un arracheur de dents et la renvoyer vite fait, bien fait sur Arda.

- Allons, je vous écoute, posez moi vos questions, j’essayerais d’y répondre le plus succinctement et clairement possible.

L’aversion pour ceux qui recherchent des réponses remontent aussi loin que ce souvienne Setsuna. Déjà enfin, il avait cette habitude de vivre en secret, solitairement, enfermé, puis on venait le chercher et l’obligeait à décrire en détail tout ce qu’il avait pu faire entre les deux rendez-vous avec les hommes en blouses blanches. Pour la recherche, pour la vérité, que des conneries aux yeux du brun, la seule vérité qui soit sienne est l’histoire gravée dans son esprit. La jeune femme ne semblait guère stressée ou même inquiétée par le fait qu’elle soit entrée comme cela sur la propriété du rebelle. Plus cet entretien avançait, plus l’idée même que quelqu’un ai été soudoyé grandissait en lui. Il n’est pas impossible que la corruption ne soit pas infiltrée sur le vaisseau.

- Tout d'abord, la chose qui m'interroge c'est de savoir ce qui à bien pu vous amener ici à Arda City... C'est vrai ce n'est pas habituel de rencontrer une personne comme vous qui vit dans un vaisseau tel que celui-ci. Alors pour quelles raisons êtes-vous là ?

Un rictus méprisable se dessina sur le visage du jeune rebelle. Il n’allait pas répondre de suite, jugeant du regard la blonde qui se tenait en face de lui. Elle n’attendit pas non plus qu’il réponde pour continuer.

- Nous nous sommes déjà rencontré une fois, lors d'un travail que je n'avais pas eu la chance de pouvoir finir correctement. Il me semble que vous étiez en train de fuir quelque chose. Vous pouvez donc comprendre que je me pose des questions à votre sujet... Une personne inconnue qui fait irruptions dans une ville où personne ne semble le connaitre, ce n'est pas habituel !

Le rictus s’agrandit encore, elle n’avait vraiment aucune idée de qui il était. Encore moins de ce qu’il avait pu fuir ce jour-là. La seule chose qui puisse le faire fuir de la Terre ferme est le Phantom, cette organisation méprisable.

- Mademoiselle Sawyer… Commença d’une voix faible Setsuna, les coudes sur le bureau, mains jointes devant son visage. Je vais vous répondre, je m’y suis engagé, mais êtes-vous bien sûr de vouloir être au courant ? Le regard porté sur ses mains se détourna et, d’un air acide, il continua son argumentaire. Comme vous l’avez dit, j’étais probablement en train de fuir, cela ne représente-t-il pas une menace ? Pourquoi fuir si je suis un homme innocent. Décroisant les mains, c’est pour mieux recroiser ses bras sur son torse. Même si vous semblez l’ignorer, j’ai toujours été sur Arda, mais disons que je n’ai été rendu public qu’il y a peu. Je ne suis protégé par aucune loi, mais plutôt qu’une réponse au risque d’y perdre la vie, ne vaut-il pas mieux rester dans l’inconnu ?

Ouvrant son tiroir de bureau, Setsuna tira de là une bouteille de whiskey, ainsi que deux verres. Il n’avait pas prévu de le faire devant elle, mais ne semblant pas vouloir partir, il allait boire le verre qu’il s’était promis de boire en rentrant, celui-ci ne serait pas avec Karen, qui dans une ambiance chaleureuse, mais au moins, il serait plus détendu pour la suite. Servant deux verres, il en fit glisser un vers Jordane. Bien qu’il n’ai jamais aimé ceux à la recherche de la vérité, il n’était jamais en mauvaise compagnie, trop longtemps enfermé seul, même la plus désagréable des discussions lui semblait un fruit divin. Prenant une gorgée de ce sirop alcoolisé, il tira une grimace et dit en rigolant.

- Un jour, j’arriverais à le boire comme un homme.

La jeune femme ne semblait pas être ce qu’elle avait eu l’air d’être lorsque Setsuna l’avait rencontrée pour la première fois. Cette fameuse journée où l’un et l’autre s’étaient rencontrés était très floue dans l’esprit du jeune rebelle. Il s’était rendu là-bas en simple reconnaissance, mais les Phantoms l’y avait tendu un piège, il avait donc dû s’enfuir, courir pour sa vie dans une course effrénée pour survivre, pour disparaître avant que son corps ne le lâche, que son sang soit plus épais que de la peinture. Il était impressionnant que malgré le peu de temps et d’informations que qu’il avait pu accorder à Jordane, elle est réussie à l’identifier, le retrouver et s’infiltrer dans son vaisseau. Pour cela, Setsuna ne cachait pas sa surprise. Pour le reste, il n’avait guère envie, malgré les belles paroles de la demoiselle, de donner la moindre information.

Le liquide chauffa sa gorge, ses ancêtres avaient longtemps appelé ça du courage liquide, faisant boire ne serait-ce qu’un verre à leurs hommes avant de les envoyer fracasser leurs armes tordues et leurs âmes rompues au combat. Peut-être que seul quelqu’un de détruit peut apprécier le bon whiskey, ou peut-être est-ce juste pour endormir les sens et faire accepter la vérité à ses troupes qu’un commandant faisait boire ses hommes. L’ultime argumentation de Jordane, qui se révélait ne pas être journaliste, attira son attention. Elle avait raison, sur toute la ligne. Tous ceux qui s’opposent à la BrainCorporation devraient être alliés, quel que soit leurs motivations.  Fallait-il tenter d’expliquer la vérité à une tierce personne ? Faut-il le faire ? Ou ne mérite-t-elle que les mensonges habituels ?

- Je… Commença le jeune homme avant de refermer la bouche et  de se raviser.  Avec une centaine d’hommes sous la main, tout deviens plus difficile. Ses choix les affectent, ses choix décident de qui vivra et qui mourra. Prenant finalement sa décision, Setsuna leva les yeux vers Jordane, un regard déterminé éclairant désormais son visage. Je ne peux pas vous dévoiler mes projets. Des hommes, des cyborgs comptent sur moi. Vous devez le savoir, je suis la cible qui donnera une promotion au Phantom qui m’attrapera, de ce fait, mes agissements ne doivent être connu que de ceux auquel j’obéis parfois et de mes propres confidents. J’ai bien peur que vous ayez fait un long chemin pour peu de réponses.

Balayant la salle des yeux, la carte de la ville sur le mur, il rajouta :

- Je peux seulement vous dire que j’ai plusieurs crimes passibles de la peine capitale à mon actif, que je suis actuellement en train de chercher un moyen de délivrer les cyborgs de leur joug des huit années et que, bientôt, nous serons capable de tenir tête à la BrainCorporation.

Nul mensonge dans ses dires, nul traîtrises dans ses dires, pourtant, l’impression d’en avoir déjà trop dit. Que pouvait-il dire de moins ? Il ne le sait pas, mais il sait ce qu’il aurait pu dire de plus, il sait ceux qu’il a protégé. Elle ne va pas partir aussi facilement, elle ne va pas disparaître en un claquement de doigt, alors autant jouer son jeu.

- Je ne mentirais pas, vous avez ma parole, mais je ne vous promets que des réponses vagues, aucune certitude.